Neuf moyennes surfaces et 47 boutiques… dont Apple ?
La journée du lundi 30 mai 2011 avait commencé sur les chapeaux de roue. A 10h, François-Xavier Dugourd, chef de file de l’opposition municipale à Dijon, tenait sa dernière conférence de presse avant la réunion de la Commission départementale d’aménagement commercial (CDAC). Dans son viseur : le projet d’extension de 10.966 m² de la Toison d’Or, zone d’achalandise implantée au Nord de Dijon depuis 1990… Plus précisément, ce projet d’extension comprend la création de neuf moyennes surfaces – deux dans le domaine « culture-sport-loisirs », une dans le domaine « équipement de la maison » et six dans le domaine « équipement de la personne » ; un agrandissement du magasin Go Sport ; et la création de 47 boutiques de moins de 300 m², dont quatre alimentaires. Côté calendrier, le tout pourrait être bouclé en octobre 2013.
Au sujet de cette extension, Nathalie Koenders, adjointe au Commerce et représentante de la mairie de Dijon à la CDAC, précise que « les développeurs ne veulent pas faire doublon avec le centre-ville en terme d’offre commerciale. Il s’agit de mettre en place des enseignes qui ne sont pas présentes à Dijon, voire en Rhône-Alpes ou même en France. Même s’ils ne communiquent pas encore beaucoup sur le sujet, nous savons par exemple qu’Apple a été approchée dans la perspective de l’ouverture d’un Apple Store »… D’après la préfecture de Côte-d’Or, l’extension de la Toison d’Or permettrait par ailleurs de créer 330 emplois.
Cette offre, « nouvelle et complémentaire » pour la majorité municipale, n’est pas vue du même oeil de l’autre côté de l’échiquier politique… « Dans ce dossier, il s’agit de la survie du commerce indépendant à Dijon », soulève François-Xavier Dugourd. Et de préciser : « La plupart des commerces qui ouvriront seront des franchises d’enseignes nationales, qui n’ont pas leur siège de décision à Dijon. A côté de ça, des commerçants qui ont donné vingt ou trente ans de leur vie pour faire vivre le centre-ville de Dijon disparaîtraient en un clin d’oeil, faute de pouvoir se battre à armes égales ? ». Lundi matin, au Café de la préfecture de Dijon, François-Xavier Dugourd tenait une grosse pile de feuilles dans ses mains : 320 pétitions, signées par des commerçants dijonnais, craignant pour leur avenir et opposés au projet d’extension du centre commercial…
« Un coup fatal pour le commerce dijonnais »
Pour l’élu départemental, chef de file de l’opposition UMP à la mairie de Dijon, le timing choisi pour la mise en place du projet « portera un coup fatal à l’activité économique du centre-ville ». « Le commerce dijonnais connaît d’abord des difficultés liées à un contexte global, notamment avec l’essor de la vente sur internet. D’autre part, le contexte local est particulièrement lourd : il tient aux problèmes d’accessibilité du centre-ville depuis plusieurs années, à la diminution des places de stationnement et, évidemment, aux travaux du tramway, qui ont un impact réel sur beaucoup de commerçants dijonnais », énumère-t-il. Et de continuer : « Nous observons des baisses de chiffres d’affaires allant parfois jusqu’à 50%, des fermetures, des liquidations, des pas de porte qui ne retrouvent pas preneur… Le maire nous dit que tout va bien au centre-ville (Lire ici notre article sur le sujet), j’aimerais d’abord qu’il me donne la source de ses informations ! ».
Les difficultés rencontrées par les consommateurs au centre-ville les porteraient-ils naturellement vers la zone de la Toison-d’Or, comme le suggère François-Xavier Dugourd ? En 2010, tel n’était pas le cas. En effet, d’après une étude publiée par la Chambre de commerce et d’industrie de Bourgogne (CCIR Bourgogne) au mois de mai 2011 (Lire ici le communiqué de presse sur ce sujet), le centre-ville, fort de 13% de la surface totale de vente de l’agglomération, réalise aujourd’hui 15% du chiffre d’affaires du Grand Dijon et peut se prévaloir d’être la zone commerciale la plus fréquentée – 60% des sondés déclarent s’y rendre. Pour comparaison, la zone commerciale Nord – qui regroupe la Toison d’Or, le Géant de Fontaine-lès-Dijon et la Zac des Grandes Varennes à Ahuy – représente 12% de la surface de vente du Grand Dijon, 18% de son chiffre d’affaires et elle est fréquentée par 56,3% des sondés. A ce titre, le ratio « chiffre d’affaire par mètre carré » semble plutôt égal entre la Toison d’Or et le centre-ville. Difficile, toutefois, de prévoir l’évolution des comportements consécutive à l’extension de la Toison d’Or…
En demande de transparence pour les informations concernant la santé du centre-ville, François-Xavier Dugourd déplore même les « mensonges de la majorité » au sujet du dossier Toison d’Or. « Ce projet avait été évoqué lors de la campagne municipale de 2008 et lors de la campagne des Cantonales en 2011. A chaque fois, le maire et son équipe ont menti publiquement en niant que ce dossier existait. C’est un mensonge grave et avéré car il est dans les tuyaux des services municipaux et du Grand Dijon depuis plusieurs mois, voire plusieurs années ! », souligne-t-il. Et de conclure : « Il ne faut pas prendre cette question à la légère. Les commerces indépendants, une fois qu’ils sont fermés, ils sont fermés ! On ne les revoit plus, c’est fini ! Ils ne reviendront pas dans trois ou quatre ans quand ça ira mieux… Ce n’est pas comme une grande chaîne qui a les moyens d’assumer des périodes de moindre activité ».
L’extension votée à sept voix contre une
A gauche, l’accent est davantage mis sur la nécessité de moderniser un centre commercial vieux de vingt ans, au coeur d’un quartier Nord en plein essor… « La Toison d’Or a aujourd’hui vingt ans. C’est un centre commercial qui vieillit et connaît une baisse de fréquentation d’après ses gestionnaires : il faut lui redonner un nouveau souffle. Plusieurs centres commerciaux en périphérie ont eu leur modernisation – je pense notamment à Chenôve, Quetigny, Fontaine-lès-Dijon – sans que l’on entende l’opposition ! Ni pour la création d’une zone commerciale à Saint-Apollinaire, ni pour les 7.000 m² à Fontaine-lès-Dijon (ndlr : deux municipalités de droite)… Donc ces arguments sont exclusivement politiques », explique Nathalie Koenders, adjointe au Commerce à la mairie de Dijon.
Et ces arguments énervent, d’après elle, bon nombre de commerçants du centre-ville… « Il faut savoir que le discours politique tenu par François-Xavier Dugourd en ce moment est que le centre-ville va mal, que c’est la sinistrose : c’est faux. Une récente étude de la CCIR montre au contraire que la part du chiffre d’affaires du centre-ville a augmenté de 3% dans les dix dernières années. D’ailleurs, beaucoup de commerçants commencent à s’énerver de ce discours très négatif », témoigne-t-elle.
5.000 logements, 12.000 habitants, un nouveau parc d’activités tertiaires – Valmy -, une future clinique ou encore l’arrivée prochaine du tramway et de la Lino… Le quartier Nord de Dijon est en pleine expansion « et la Toison d’Or se devait d’être étendue », note Nathalie Koenders. Pour elle, « cette augmentation de l’offre commerciale ne fera pas d’ombre aux actions menées en centre-ville ». « En revanche ce dernier a beaucoup d’atouts mais doit aussi se moderniser : c’est pour cela que, depuis 2008, j’ai mis en place le projet Coeur de ville, que la mairie aide les unions commerciales à monter des animations, que l’on piétonnise les rues (Liberté, Godrans)… ». Lundi 30 mai, les arguments de la majorité municipale ont eu le dessus : le projet d’extension a été validé par sept voix – quatre élus et trois personnes représentant les consommateurs, l’aménagement du territoire et le développement durable – contre une contre, celle du conseil général de Côte-d’Or.
Et après ? La guerre ou la paix
Dans un communiqué reçu lundi 30 mai à 19h, François-Xavier Dugourd faisait pourtant savoir qu’il n’en resterait pas là… « Les élus du groupe Initiatives Dijon (…) regrettent profondément cette décision. Nous allons désormais prendre connaissance dans le détail des arguments et des conclusions de la commission, avant d’en rendre compte aux commerçants en leur indiquant notamment les possibilités de recours et, le cas échéant, en les accompagnant dans leur démarche. La partie n’est pas finie », souligne ce message adressé à la presse (Voir document joint). En effet, l’opposition dispose d’un mois pour déposer un recours face à cette décision.
Parmi les arguments avancés par François-Xavier Dugourd lors de sa conférence de presse : celui d’une concurrence déloyale instaurée entre la Toison d’Or et le centre-ville. « Un centre commercial de ce type a quand même des avantages très importants par rapport au centre-ville. Le premier est qu’il est extrêmement facile d’accès par la rocade et, d’autre part, il offre de grandes facilités de stationnement – ce qui n’est pas le cas en ville aujourd’hui », détaille-t-il. Chef de l’opposition UMP, se ferait-il le défenseur de l’égalité des chances face à une conception libérale du commerce ? « Je suis pour l’activité libérale, bien sûr, mais dans des conditions de concurrence correctes et loyales. Si le centre-ville avait de nouveaux dispositifs de stationnement par exemple, le problème se poserait de manière différente et peut-être pourrions-nous l’envisager sous un autre angle. Mais aujourd’hui, les commerçants du centre-ville ne sont pas dans cette position : au contraire, on leur supprime des places de stationnement », se défend François-Xavier Dugourd.
Le vote de cette extension commerciale suscite à gauche davantage d’espoir. « Même l’Etat s’enthousiasme pour le projet ! Cet après-midi, par exemple, ses représentants ont déclaré que l’extension allait « être une véritable dynamique pour Dijon » et qu’il s’agissait « de créer une déambulation naturelle entre la Toison d’Or et le centre-ville ». C’est-à-dire qu’avec l’arrivée du tramway, on peut même imaginer que des gens de l’extérieur du département viennent pour la Toison d’Or et se déplacent ensuite au centre-ville… », témoigne Nathalie Koenders. « Après, il nous revient de travailler sur les synergies entre le centre-ville et la Toison d’Or. Cela a déjà été le cas, notamment pour les soldes d’hiver, pusique la le centre commercial et l’association de commerçants « Dijon je t’aime ! » ont mutualisé leurs moyens pour faire des publicités en commun en direction de l’extérieur de Dijon. Ils ont compris qu’ils n’étaient plus concurrents mais qu’il leur revenait d’attirer des gens de l’extérieur, avant que le client aille chez l’un et chez l’autre… Certains commerçants l’ont compris », souligne-t-elle. Et de conclure : « Dans certaines villes, les centres commerciaux travaillent même avec des tickets de caisse sur lesquels sont imprimées des réductions pour des commerces du centre-ville. Tout reste à inventer ». Côté calendrier, une enquête publique sera menée entre juin et juillet 2011, avant le depôt du permis de construire pendant l’été. Si tout se passe comme prévu, les travaux devraient ainsi commencer en mars 2012 pour se terminer en octobre 2013, quand le chantier du tramway dijonnais ne sera déjà plus qu’un lointain souvenir…