Dans un communiqué reçu mercredi 27 avril 2011, il est annoncé que François Marc, sénateur du Finistère, et François Rebsamen, sénateur de Côte-d’Or et maire de Dijon, font une proposition de loi tendant à améliorer la justice fiscale, à restreindre le « mitage » de l’impôt sur les sociétés et à favoriser l’investissement, en séance publique jeudi 28 avril.
Pour en savoir plus, lire le communiqué ci-dessous.
« Cette proposition de loi a pour objectif d’instaurer à :
– L’Article 1 : l’abrogation du régime du bénéfice mondial consolidé
– L’Article 2 : un dispositif visant à ce que toute société soit tenue d’acquitter un impôt au moins égal à la moitié du montant normalement exigible, résultant de l’application du taux normal (prévu au deuxième alinéa du I de l’article 219 du code général des impôts) à l’assiette de son bénéfice imposable
– L’Article 3 : une possibilité de modulation du taux de l’impôt sur les sociétés (IS) en fonction de l’affectation du bénéfice réalisé, permettant ainsi de favoriser le réinvestissement des profits au sein même de l’entreprise (de préférence à sa distribution sous forme de dividendes)
Introduction
Les actions en faveur du maintien des emplois, du développement des entreprises et du soutien social en direction de nos concitoyens les plus concernés par la crise, doivent nécessairement être renforcées. L’Etat, par son action, doit pouvoir prendre toute sa place dans ce dynamisme. Or, la récession économique à laquelle cet Etat doit faire face réduit fortement ses recettes. Les nombreux cadeaux fiscaux accordés aux ménages les plus favorisés accentuent les écarts de richesse et contribuent à limiter les marges de manœuvres financières de notre pays. Ainsi, l’objectif de cette proposition de loi est simple : redonner à l’Etat et à la puissance publique, les moyens financiers de soutenir les ménages et les entreprises les plus en difficultés dans cette période de crise. La fiscalité sur les bénéfices des entreprises est fondamentalement injuste. Aujourd’hui, en France, les PME sont beaucoup plus taxées à l’IS que les entreprises du CAC 40.
Les entreprises du CAC 40, qui représentaient en 2006 plus de 30% des profits, rapportaient à peine 13% de l’IS (selon le rapport 2009 du Conseil des Prélèvements Obligatoires). En revanche, les PME dont la taille n’excédait pas 250 personnes s’acquittaient de 21% de l’IS, pour seulement 17% des profits générés par les entreprises françaises. Aussi apparait-il nécessaire non seulement de limiter l’impact global des niches fiscales et exonérations diverses sur le calcul de l’impôt sur les bénéfices, mais aussi de plafonner l’usage cumulatif des différentes dispositions fiscales dérogatoires à 50% de l’IS exigible au titre d’un exercice fiscal. En d’autres termes, pour un taux légal en vigueur de 33,33 % d’IS, toute entreprise se devra d’acquitter « a minima » l’équivalent de 16,65% de son bénéfice.
La présente proposition de loi s’inscrit dans une volonté de rétablir plus de justice, mais aussi, à un moment où l’on parle tant d’une nécessaire réhabilitation de l’éthique d’entreprises, à réconcilier certaines grandes firmes avec une véritable exigence de citoyenneté. Pour les sénateurs socialistes, la fiscalité doit être l’outil de la solidarité nationale, mais à la condition qu’elle soit juste et équitable. C’est par le renforcement des moyens de l’action publique, et par un meilleur partage des richesses, que le groupe socialiste propose de lutter efficacement contre les inégalités dans notre pays et de soutenir les personnes les plus touchées par la crise actuelle.
Présentation des articles
- Article 1er : Abrogation du régime du bénéfice mondial consolidé
Le dispositif : Le régime dit du « bénéfice mondial consolidé » permet de déroger à la règle de territorialité, selon laquelle l’impôt sur les sociétés est assis sur les seuls résultats des entreprises implantées en France. Il prévoit que les sociétés françaises peuvent, sur agrément, retenir l’ensemble des résultats de leurs exploitations directes ou indirectes, situées en France ou à l’étranger, pour l’assiette des impôts. Il permet à des filiales détenues dans une proportion de 50% à 95% d’être intégrées aux résultats.
L’agrément n’est accordé qu’aux groupes bénéficiant d’une implantation internationale diversifiée et est délivré pour une période de cinq ans irrévocable. Lors de l’éventuelle demande de renouvellement, la durée du nouvel agrément est de trois ans. Cinq groupes en bénéficient actuellement contre 11 en 2000. Total, Vivendi, NRJ Group et Euro Media Group figurent parmi les actuels bénéficiaires. Si le dernier groupe cité n’est pas vraiment connu, ont été aussi concernés : Essilor, Danone, Saint-Gobain, Schneider Electric, Suez environnement).
« Le nombre limité de groupes bénéficiaires s’explique par le fait que ce régime ne présente de réel intérêt que si le groupe imposable en France peut diminuer l’impôt sur les sociétés dû dans notre pays par la prise en compte de déficits subis à l’étranger », souligne le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO). D’après ce même CPO, son coût reste élevé – il aurait été de 302 M€ en 2010 – même s’il a diminué depuis 2001 (1,5 MD€ en 2001).
Informations
Bénéfices affichés en 2010 par quelques-uns des bénéficiaires du dispositif du bénéfice mondial consolidé :
– Total : bénéfice net de 10,3 MD€ (+32%)
– Vivendi : résultat net ajusté de 2,698 MD€ (+4,4%)
– NRJ group : résultat net part du groupe de 32,3 M€ (+308,9%).
Les critiques
Un dispositif qui n’est plus adapté
Le CPO a souligné que ce régime avait été mis en place en 1965, dans un contexte économique différent, mais qu’il « apparaît aujourd’hui mal adapté, dans un contexte où le développement international fait partie de la stratégie naturelle des grands groupes, et où de nombreuses réformes fiscales favorables aux grandes entreprises ont été conduites au cours de la période récente ». Il en a conclu : « La suppression de ce régime, dont l’utilité économique n’est pas démontrée, apparaît souhaitable ».
Le 05 avril dernier, le Président (PS) de la commission des finances de l’Assemblée nationale, Jérôme Cahuzac, a adressé au ministre du budget, François Baroin, un courrier de « demande de précisions » afin, notamment, de connaître le coût exact pour les finances publiques d’une niche fiscale, le « bénéfice mondial consolidé », dont bénéficient cinq grandes entreprises en France.
– Des écarts dans l’évaluation du coût : Le député socialiste s’étonne en effet de « l’écart » entre les chiffres communiqués par le gouvernement et ceux dont font état certaines entreprises bénéficiaires de ce dispositif. M. Cahuzac relève que « l’estimation fournie par le Gouvernement pour 2010 et 2011 » fait apparaître un « coût pour l’Etat de 461 M€ ». Les 461 M€ figurent, en fait, au titre des années 2009, 2010 et 2011 dans le document « Voies et moyens« , lié à la loi de finances pour 2011 (En savoir plus ici).
Mais, dans le même temps, « le chiffrage pour 2010 de l’effet du bénéfice mondial consolidé semble faire apparaître un gain, à ce titre, de 580 M€ pour le seul groupe Vivendi ». Nicole Bricq rappelait récemment que « si l’on observe les sommes versées à Vivendi au cours de la période concernée, on s’aperçoit que le groupe a reçu 464 M€ en 2005, 507 M€ en 2006, 603 M€ en 2007, 548 M€ en 2008 et 435 M€ en 2009. Dans leur dernier rapport annuel, qui ne tient pas compte de l’année 2009, les responsables de Vivendi expliquaient que ce dispositif devait rapporter à l’entreprise 2,1 MD€ sur l’ensemble de la période. Il me semble que cela se passe de commentaires ».
C’est la raison pour laquelle le Président de la commission des finances de l’Assemblée nationale veut connaître « le montant de l’allégement dont a bénéficié chaque entreprise, au titre de cette niche fiscale, pour les années 2009, 2010, et estimé pour 2011 ». Désirant aussi disposer du « montant total de leurs différents crédits d’impôt », il souhaite, par ailleurs, connaître les « critères de traitement des demandes de prorogation du bénéfice » de cette niche. Total, Vivendi et NRJ Group vont, en effet, « être amenés, à court terme, à demander le renouvellement de cet agrément ».
Des contreparties non tenues
En séance, lors de la discussion du PLF 2011, Nicole Bricq rappelait que, lorsque ce régime exceptionnel avait été attribué à Vivendi, une contrepartie avait été négociée : entre 1.500 et 1.600 contrats à durée indéterminée devaient être créés, « ce qui revient très cher – environ 362.000 € l’emploi ! Mais cette contrepartie n’a jamais été évaluée ». A titre d’information, la Tribune, en novembre dernier, évoquait une rencontre entre le patron du groupe de médias, Jean-Bernard Levy, et Nicolas Sarkozy, au cours de laquelle ce dernier aurait annoncé la fin du dispositif fiscal « bénéfice mondial consolidé », dont profite Vivendi depuis 2004. Bercy avait, à l’époque, démenti l’information.
Le secrétaire d’État Georges Tron avait émis, lors de la discussion du même PLF, un avis négatif sur cette suppression, faisant même savoir que « ce dispositif est bien contrôlé, semble assez sûr, et permet à des entreprises qui ne sont pas forcément de grands groupes de développer leurs activités »… A regarder la listes des bénéficiaires, on est en droit de se demander de quelles entreprises il parle…
- Article 2 : Instauration d’un seuil minimal d’IS pour les entreprises égal à la moitié du taux nominal actuel
Cet article a pour objectif l’instauration d’un dispositif visant à ce que toute société soit tenue d’acquitter un impôt au moins égal à la moitié du montant normalement exigible, résultant de l’application du taux normal (prévu au deuxième alinéa du I de l’article 219 du code général des impôts) à l’assiette de son bénéfice imposable.
Les constats
Total, malgré un bénéfice mondial de plus de 8 MD€, n’a pas eu à débourser un seul centime dans l’Hexagone. Même chose pour Danone, Suez, Essilor ou Saint-Gobain. Si cela surprend, « ces sociétés ne font qu’appliquer le code des impôts ». En théorie, le taux de l’impôt est de 33% sur les bénéfices, mais il existe de nombreux dispositifs fiscaux pour passer entre les mailles du filet. Selon le rapport du Conseil des prélèvements obligatoires d’octobre 2010, les entreprises auraient ainsi épargné 66,3 MD€ en 2009 contre « seulement » 18,5 MD€ en 2005, grâce aux différents régimes et niches (Consulter ici le rapport). Les sociétés du CAC 40 seraient donc taxées en moyenne à 8% sur leurs profits, contre 22% pour les PME, qui ne maîtrisent pas forcément toutes les subtilités du code des impôts.
Total, par exemple, ne paye pas cet impôt en France, car ses raffineries sur le territoire sont en perte. En effet, les pertes enregistrées pendant la crise peuvent être déduites des bénéfices ultérieurs. Danone, de son côté, retire de ce qu’il doit payer les emprunts qu’i a contractés pour acquérir Numico en 2007. En fin de compte, entre le report illimité des pertes, l’intégration fiscale, la déductibilité des intérêts, le régime fille-mère, la « niche Copé » (qui exonère les cessions de participation à long-terme) ou le crédit impôt-recherche, la plupart des entreprises y gagnent, aux dépens de l’Etat français.
Aux USA, le seul « tax gap », c’est à dire l’insuffisance des rentrées fiscales par rapport à la situation normale, dans laquelle tous les contribuables respecteraient pleinement la législation fiscale, à été chiffré, sur 10 ans, à 210 MD$. A 33,3%, le taux nominal d’impôt sur les sociétés en France est le plus élevé d’Europe après Malte. Ce taux était de 15% en Allemagne en 2009, 27,5% en Italie et 28% au Royaume-Uni. Malgré l’existence d’un taux réduit d’impôt sur les sociétés pour les petites entreprises, l’optimisation fiscale permet aux grandes entreprises de payer relativement moins d’impôts.
Le taux implicite d’imposition est ainsi en France de 30% pour les entreprises de 1 à 9 salariés, 20% pour celles de 50 à 249 salariés et 13% pour celles de plus de 2 000 salariés, mais 8% seulement pour les entreprises du CAC 40, selon un rapport du Conseil des prélèvements obligatoires. Ainsi, si ces dernières acquittaient l’impôt comme le font les PME, elles paieraient 15 MD€ au lieu des 6,5 MD€ qu’elles versent aujourd’hui. Un manque à gagner de 8 MD€ pour les caisses de l’Etat. En ce sens, les sociétés se soustraient à leurs obligations envers l’Etat.
L’impôt sur les sociétés est devenu un « impôt de chagrin », reconnaît François Baroin, ministre du Budget. Le cabinet de Christine Lagarde, quant à lui, ne dément pas ces chiffres. Au vu de ces éléments, le taux marginal d’IS de 33%, que le patronat n’a de cesse de dénoncer pour obtenir de nouvelles baisses d’impôt, n’a donc que peu de liens avec la réalité.
Alors que le Gouvernement a fixé un seuil au delà duquel on ne peut plus taxer les français les plus aisés, alors que le Gouvernement a mis en oeuvre une réforme qui a bénéficié aux entreprises, alors que le « poids » de l’IS est inversement proportionnel à la taille de l’entreprise, il semble opportun aujourd’hui de mettre en place un mécanisme correcteur, qui viendrait obliger les sociétés à un juste retour, et à payer au moins la moitié de ce qu’elles doivent légalement à l’Etat. D’autant que la réforme de la taxe professionnelle a bénéficié aux entreprises au détriment des ménages. C’est la raison pour laquelle les socialistes proposent aujourd’hui un seuil d’imposition égal à la moitié du taux nominal d’IS, en dessous duquel aucune entreprise, par aucun dispositif que ce soit, ne pourra descendre.
Les réactions
Le Gouvernement trouve qu’il est urgent… d’attendre…
En mars 2010, le ministère de l’Economie réfléchissait à une réforme de l’impôt sur les sociétés, afin de réduire l’écart entre les taux nominal et réel d’imposition des bénéfices des entreprises. Christine Lagarde rappelait, dans un entretien à la Tribune, qu’il « existe en France un écart significatif entre le taux d’imposition facial des bénéfices des entreprises, qui est de 33,3% et le taux réel qui est de l’ordre de 22% », insistant même en déclarant : « Je ne trouve pas très sain qu’il y ait un tel écart (…) et nous réfléchissons à la meilleure manière d’y remédier ».
En janvier 2011, la ministre de l’Economie, Christine Lagarde, avait évoqué une réforme de l’impôt sur les sociétés, mais « pas dès cette année » : « Nous avons un système de fiscalité, en particulier d’impôt sur les sociétés, qui a un taux facial élevé et toute une catégorie de niches fiscales diverses et variées », déclarait-elle. Poursuivant ainsi : « Les grandes entreprises, qui peuvent financer des services juridiques importants, peuvent ainsi faire de l’optimisation fiscale, et s’acquitter au final de moins d’impôt en pourcentage que les petites ».
A droite
Christian Estrosi semble avoir découvert le sujet et veut une réforme. Rappelons tout de même que ce dernier était ministre auprès de la ministre de l’Économie, de l’Industrie et de l’Emploi, chargé de l’Industrie, entre juin 2009 et novembre 2010… Il n’ignorait donc pas totalement le sujet… Depuis quelques semaines (annonce faite à France Inter le 29 mars 2011) il aborde ce thème, annonçant qu’il a même décidé de déposer une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête relative au taux réel d’impôt sur les sociétés payé par les grandes entreprises et les petites et moyennes entreprises à l’Assemblée nationale.
Bruxelles envisagerait une harmonisation européenne de l’impôt sur les sociétés
La Commission européenne vient de présenter une réforme visant à établir une assiette commune à l’UE, en ce qui concerne la perception de l’impôt sur les sociétés. En taxant les bénéfices des entreprises sur une base commune, cette harmonisation, baptisée ACCIS pour « Assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés », constituerait en fait un guichet unique, et simplifierait les démarches administratives pour les sociétés assujetties à l’IS, qui n’auraient plus qu’à remplir une seule déclaration fiscale pour l’ensemble de leurs activités. La déclaration serait remise à une seule et même administration, et les pays continueraient à appliquer leurs taux d’imposition sur leur part de l’assiette.
Bruxelles a néanmoins précisé, dans un communiqué, que « les États membres conserveraient intégralement leur droit souverain en matière de fixation du taux de l’impôt sur les sociétés sur leur part de l’assiette, et que « l’ACCIS sera facultative ». Ce qui signifie que les entreprises estimant « pouvoir tirer parti d’un système harmonisé au niveau de l’UE pourront opter pour ce régime, tandis que les autres pourront continuer de relever de leur régime national ».
- Article 3 : Modulation de l’impôt sur les sociétés en fonction du « comportement » de l’entreprise en matière de ré investissement des bénéfices dégagés
L’article 3 propose de moduler, à la hausse comme à la baisse, le taux d’impôt sur les sociétés, selon la répartition effectuée par l’entreprise de ces bénéfices. Cette disposition est récurrente dans les propositions socialistes avancées lors de différents PLF. Elle était également au cœur de la proposition de loi visant la Création d’une contribution exceptionnelle de solidarité des entreprises ayant réalisé des bénéfices records, proposée et défendue par François Rebsamen et les membres de la commission des finances le 04 juin 2009.
La modulation du taux d’imposition en fonction du comportement, vertueux au non, bonus/malus, s’inscrit dans le même esprit que les récentes propositions du PS « pour le changement ». NB – Les aspects techniques (taux) de mise en œuvre sont cependant quelque peu différents. Le projet du PS prévoit que l’impôt sur les sociétés sera baissé de 33% à 20% pour les entreprises qui réinvestissent intégralement leurs bénéfices, et augmenté jusqu’à 40% pour celles qui privilégient les dividendes des actionnaires, quand la présente PPL fonctionne en dixième de taux supplémentaire ou en moins.
La présente proposition prévoit : Une réduction d’un dixième du taux lorsqu’une fraction du bénéfice imposable, au mois égal à 60%, est mise en réserve ou incorporée au capital (à l’exclusion des sommes destinées au rachat d’actions). Une majoration d’un dixième, lorsque cette fraction est inférieure à 40% du bénéfice considéré. Ce bonus/malus (égal à 3,3 points d’impôt) vise à privilégier davantage les entreprises qui participent à la relance, et à pénaliser les entreprises qui, par leur politique d’optimisation des profits en direction des actionnaires, contribuent à ne pas réduire la congestion économique actuelle.
Cette mesure a été discutée à de nombreuses reprises au Sénat, et notamment lors de la discussion du 2ème PLFR 2009, par voie d’amendements. M. Éric Woerth avait eu l’occasion de dire, au cours des débats, « qu’un tel débat mérite d’ailleurs d’être approfondi ». Il s’est également engagé à interroger le Trésor et la Direction de la législation fiscale pour avoir leur expertise sur le sujet, et a indiqué, que « nous aurons alors un rendez-vous, peut-être lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2010 ».
Ça n’a été le cas, ni en PLF 2010, ni en décembre dernier, lors du PLF 2011, au cours duquel le groupe socialiste avait redéposé ces propositions. Il faut, aujourd’hui, se saisir de ce sujet ! D’autant que la question de la répartition de la richesse produite est au cœur de la crise actuelle et des revendications sociales. La principale demande des citoyens est une répartition plus juste de la richesse produite. La crise vient notamment du fait d’une disproportion flagrante entre les profits des revenus du capital et les profits tirés du travail (le salaire).
Eléments de débats
Pourquoi une telle proposition ?
L’arme fiscale doit être une arme anti-crise et un outil de solidarité, dans le souci de ne pas creuser davantage les déficits. La crise actuelle entraine des moins-values de recettes fiscales, qu’il s’agisse de la TVA, de l’impôt sur le revenu ou de l’impôt sur les sociétés. Aussi faut-il apporter des preuves de justice aux citoyens, consommateurs, ménages, contribuables, PME, qui subissent lourdement les effets de la crise (hausse des prix et chômage) et ce, alors qu’ils assistent, en parallèle, au versement de parachutes dorés, de retraites chapeau, ou de dividendes mirifiques…
Pourquoi devraient-ils subir une double peine ?
Les entreprises qui sont ici visées ont les moyens d’être mises à contribution car, malgré la crise, elles ont été largement bénéficiaires. Par ailleurs, elles se sont maintenues dans une logique très peu « vertueuse » en temps de crise, poursuivant leur politique de maximisation du retour aux actionnaires, jumelée à une politique des prix supportée par les consommateurs (ménages, PME), et en s’exonérant de leurs obligations financières par des procédés d’optimisation fiscale qui, s’ils sont parfaitement légaux, n’en restent pas moins anormaux. En outre, la croissance de ces entreprises ne s’est pas nécessairement traduite par des hausses des investissements productifs proportionnelles (c’est le cas de Total).
Le Président de la République aurait-il renoncé à « s’aligner » sur son homologue américain?
« Nous avons une grande convergence de vues », avait déclaré Nicolas Sarkozy en juillet 2008, à propos du nouveau Président des Etats-Unis, Barack Obama. « Avec votre élection, le peuple américain a exprimé avec vigueur sa foi dans le progrès et l’avenir, ainsi que sa volonté d’une Amérique ouverte, nouvelle, forte et solidaire, que vous incarnez », avait il ajouté en janvier dernier.
Pourtant, les États-Unis semblent beaucoup plus volontaristes, ou plutôt moins dogmatiques, en matière fiscale, en cette période de crise, que le Gouvernement français. En effet, Barack Obama entend vérifier que les entreprises paient bien leurs impôts à l’État fédéral (35%, quand l’impôt sur les sociétés, en France, est de 33,33%), que, bien souvent, elles minorent par des stratégies de défiscalisation et d’évasion fiscale, et ce, « alors que des millions de familles travaillent dur et les petites entreprises paient leur part », a assuré Tim Geithner, le secrétaire au Trésor.
A ce titre, la contribution prévue à l’article 1er ferait passer l’impôt sur les sociétés des grandes entreprises concernées, les deux premières années, de 33,33% à 35% et la dernière année à 34,16%). Les diverses mesures proposées dans cette PPL visent à lutter contre les phénomènes de confiscation de la richesse produite par la collectivité, et contre la politique d’optimisation fiscale développée par certaines entreprises. Nicolas Sarkozy reste arc-bouté sur de vieux principes. Mais on ne peut pas indéfiniment lutter contre la récession par l’utilisation massive de la dette publique (qui atteint désormais des chiffres records).
Positions de la commission des finances et du rapporteur, Ph. Dominati
Les sénateurs de la majorité anticipent les dispositions du projet de loi constitutionnelle
Lors de son intervention en commission des finances, le rapporteur de la PPL du groupe socialiste, Ph Dominati, a rappelé la doctrine récente imposée par la commission des finances : « Pour des raisons de doctrine, ces dispositions ne peuvent être approuvées, car les dispositions fiscales relèvent désormais exclusivement du domaine réservé des lois de finances. Notre commission a, en effet, décidé d’anticiper les dispositions du projet de loi constitutionnelle, qui réserveront la matière fiscale aux seules lois de finances ».
Déjà, à l’occasion de la proposition de loi du groupe CRC tendant à assurer la juste participation des entreprises au financement de l’action publique locale et à renforcer la péréquation des ressources fiscales, le rapporteur, Ch. Guené, précisait que « la Commission des finances du Sénat a décidé d’appliquer la règle, selon laquelle les questions fiscales doivent être examinées en lois de finances. Par là même, elle n’a fait qu’anticiper les dispositions du projet de loi constitutionnelle qui réserveront la matière fiscale aux seules lois de finances ». Le rapporteur a précisé que « les propositions de lois contenant des dispositions fiscales ne seront bientôt plus constitutionnellement recevables ». = Comme ce n’est pas encore le cas, pourquoi soulever cet argument ?
N. Bricq avait eu l’occasion, lors de son intervention du 30 mars dernier, de dénoncer cette attitude : « Nous ne saurions souscrire à vos conclusions (…), puisqu’elles visent notamment à restreindre le champ de l’initiative parlementaire et, singulièrement, des propositions de loi émanant de l’opposition, en renvoyant celles-ci au cadre de la loi de finances, au motif qu’elles seraient de nature à créer des niches fiscales. Je souligne qu’une telle réforme constitutionnelle n’a pas encore eu lieu ».
Le projet de loi constitutionnelle n’a pas encore été discuté, et encore moins adopté par le Parlement, puis par le Congrès. A-t-il des chances de l’être ? Ce sera l’objet de débats importants, en ouverture de la campagne des présidentielles. Le parti socialiste y est déjà opposé. Si cette nouvelle contrainte (réserver les dispositions fiscales aux lois de finances) peut légitimement s’imposer au Gouvernement, qui maitrise encore largement le déroulement de la discussion parlementaire et le dépôt des lois de finances, elle se justifie peut-être moins pour les parlementaires, dont elle restreint encore les pouvoirs ! = Que pourront-ils faire après la réforme, s’ils ne peuvent même plus proposer de dispositions fiscales dans leurs propositions de loi ? Leur pouvoir est déjà largement contraint par l’article 40 de la Constitution, qui leur refuse la création de charges.
Lors de l’examen du projet de loi constitutionnelle par la commission des lois de l’Assemblée nationale, il a été adopté un amendement de suppression du monopole des lois de finances et de financement de la sécurité sociale en matière de prélèvements obligatoires, au motif qu’un « tel monopole nuirait à la cohérence de la discussion des réformes en les amputant de toutes les questions relatives aux moyens » et « porterait une atteinte excessive au droit d’initiative des parlementaires ».
La commission des finances de l’AN y est opposée, au motif que ce monopole « risque de rigidifier l’organisation du travail législatif et de porter atteinte aux droits du Parlement ». Elle propose une solution quelque peu différence via un « monopole partagé », en créant une nouvelle catégorie de lois : les lois de prélèvements obligatoires, qui seraient des lois ordinaires, qui ne pourraient contenir que des dispositions relatives aux impositions de toutes natures et aux autres ressources de la sécurité sociale ». Cette deuxième option semble elle aussi contraignante, puisqu’elle continue de déconnecter la discussion des réformes de celle des moyens qui leur sont attribuées. Ni l’une ni l’autre ne semblent véritablement acceptables.
Le rapporteur considère que cette PPL serait de nature a créer une niche fiscale
La majorité oublie que, au cours des dix dernières années, elle a multiplié, dans les lois de finances, le nombre de niches fiscales. En ce qui concerne la période plus récente des cinq dernières années, le coût des niches nouvelles destinées aux entreprises est estimé à 15 milliards d’euros par le Conseil des prélèvements obligatoires. Par ailleurs, rappelons que l’argument du « chantage à la délocalisation », utilisé également sous une autre forme pour justifier la mise en place du bouclier fiscal, ne tient plus.
Agir pour les PME
Enfin, il convient de rappeler que le principal objectif de cette PPL est de rétablir plus de justice fiscale entre les entreprises et donc, par là, d’accroître la dynamique des TPE / PME françaises, principales sources de croissance et de création d’emplois. Il est en effet nécessaire de développer la compétitivité des entreprises françaises face, notamment, à des PME allemandes souvent plus grandes (seulement 8% des entreprises françaises comptent plus de 20 salariés, contre 25% en Allemagne) et dans le cadre d’une véritable stratégie industrielle. Rappelons qu’hormis les filiales des grands groupes, l’emploi dans les seules entreprises de moins de 250 salariés du secteur concurrentiel est estimé à 9 millions d’actifs, tous statuts confondus, soit 55 % environ des effectifs du secteur privé.
Les PME représentent 98% des entreprises en nombre, et produisent 42% de la valeur ajoutée. Elles sont particulièrement présentes dans des filières industrielles majeures pour la France, telles que le logiciel, l’automobile, l’aéronautique et l’agroalimentaire. Si la majorité oppose aux socialistes des arguments dénonçant une fiscalité à la française déjà handicapante pour nos entreprises, il sera de notre devoir d’affirmer qu’en luttant contre des stratégies d’optimisation fiscale qui profitent essentiellement aux firmes du CAC 40, ce texte vise précisément à mettre fin à une fiscalité fondamentalement injuste pour les PME. »