Vol de cartes bleues : Un « gang de femmes enceintes » à Dijon ?

 l’heure où les nouvelles technologies multiplient les possibilités de fraude, les vieilles recettes criminelles ont toujours le vent en poupe… A Dijon, un groupe de femmes prétendument enceintes s’est spécialisé dans le vol de cartes bleues, jouant davantage sur la psychologie que la technique pour arriver à leurs fins. Pour dijOnscOpe, une victime témoigne…

« Elles disaient chercher un gynécologue »

« J’ai vécu un très mauvais film. Samedi 18 juin 2011, ma carte bleue a été volée et la banque ne s’en est rendu compte que le mercredi suivant, quand 6.500 euros avaient déjà été retirés de mon compte. Moi-même, je n’ai finalement reconstitué l’histoire que dans la journée du jeudi ! J’ai mis du temps avant de savoir ce qui s’était réellement passé ». Ce témoignage, Alice* le raconte aujourd’hui à qui veut bien l’entendre. Elle espère pouvoir sensibiliser son entourage à davantage de prudence… « Ce jour-là, j’étais allée faire des courses au supermarché et à mon retour, manifestement, on m’attendait devant ma porte – ce qui veut dire que quelqu’un m’avait repérée dans le magasin, que mon code avait été relevé et que l’on avait remarqué ma Visa Premier, ce qui est fort intéressant pour les voleurs car on peut retirer mille euros par jour ! ».

Arrivée devant chez elle, deux femmes observaient les sonnettes de la copropriété. « Quand je suis arrivée, elles m’ont indiqué qu’elles cherchaient un gynécologue et qu’elles pensait qu’il en existait un à cette adresse… Malgré mon assurance à leur dire que non, elles ont insisté. « Je saigne, je vais perdre mon bébé ! Il faut absolument qu’on trouve un gynécologue », commençait à s’écrier l’une d’elles. Après leur avoir conseillé d’aller à l’hôpital, elles voulaient que je leur explique sur un plan… C’est là que j’ai commis l’erreur d’ouvrir mon sac pour chercher un crayon ». Et de continuer : « L’une est passée derrière moi ; l’autre était devant et a déplié une carte de France ! Je leur ai demandé si elles ne se payaient pas ma tête ! Elles n’ont pas du tout insisté ensuite. N’empêche qu’elles avaient piqué ma carte bleue. Je n’ai absolument pas pensé une seule seconde, sur le moment, qu’on m’avait volé quelque chose ».

Quatre jours plus tard, Alice reçoit un appel de sa banque, lui signalant des retraits et achats pour un montant de 6.500 euros. « Là, je n’ai rien compris ! J’ai donc été porter plainte à la police et j’ai demandé le remboursement de la somme par ma banque. Ils ont d’abord refusé, arguant du fait que le code était visiblement connu, mais j’ai déposé une demande écrite et devrais être remboursée », raconte Alice.

Un mode opératoire connu des services de police

Cette histoire, les policiers du commissariat de la place Suquet, à Dijon, l’ont déjà entendue à plusieurs reprises. « Dès que j’ai raconté ce qui s’était passé à la jeune femme qui prenait ma plainte, elle m’a répondu le mode opératoire était connu et qu’ils avaient déjà entendu cette histoire plusieurs fois. Elle est toujours identique et implique deux jeunes femmes, dont une soi-disant enceinte qui se plaint et dit craindre de perdre son bébé… A chaque fois, elles arrivent à voler quelque chose et la police m’a même précisé que parfois, elles arrivaient à rentrer chez les gens sous prétexte de téléphoner ! », note-t-elle.

A l’instar de l’essor des femmes parrains de la mafia dans les années 1990 en Italie, les gangs de femmes tendent à se développer aujourd’hui à travers le monde, en raison des faibles soupçons qu’elles éveillent encore auprès des forces de l’ordre et de la population. A Nice, le gang Ghetto Youth a longtemps sévi en toute impunité (Lire ici l’article de Elle.fr sur le sujet) et mercredi 15 juin 2011, le journal chinois Qianjiang Evening News rapportait une arrestation… de femmes enceintes ! « 46 femmes enceintes ont été arrêtées et poursuivies pour vol à Hangzhou, dans la province du Zhejiang. Les femmes, qui ont commis plus de quatre cents vols par mois dans la ville, sont âgées de vingt à quarante ans et sont tombées enceintes à plusieurs reprises, la police n’arrêtant généralement pas les femmes enceintes ou allaitant. Après leur arrestation, le nombre de cambriolages dans la ville a diminué sensiblement » (Lire ici la traduction de l’article sur Chine-informations.com).

Dans notre édition du mercredi 27 octobre 2010, Stéphane Soullez, auteur d’une étude sur la délinquance des mineures pour l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales, remarquait également une recrudescence de la criminalité au féminin (Lire ici notre article sur le sujet)… Selon cette étude, le nombre de filles mises en cause pour vols sans violence a augmenté de 27,4 % entre 2004 et 2009, passant de 11.900 par an à plus de 15.000… « Cette progression du nombre de filles mises en cause pour vols sans violence est dûe plus particulièrement à celle des vols simples contre des particuliers, avec une augmentation de 30,8% des mises en cause », constate le document. D’une manière générale, plus de quatre filles sur cinq mises en cause pour atteinte aux biens l’ont été pour un vol sans violence en 2009.

Fraude à la carte bancaire : de la rue à internet…

Outre le constat d’un mode opératoire reposant sur la confiance et la compassion, l’histoire d’Alice pose également la question de la sécurité des cartes bancaires. Et force est de constater que la fraude, dans ce domaine, est en augmentation constante… « Le taux de fraude sur les paiements et les retraits par carte enregistré en 2009 dans les systèmes français est augmentation comparé à celui des années précédentes. En effet, la progression des montants de fraude – 342,4 millions d’euros en 2009 contre 320,2 millions d’euros en 2008, soit une hausse de 6,9 % – est plus importante que la croissance du montant des transactions – enregistrant une hausse de 2,9 % », remarque l’Observatoire de la sécurité des cartes de paiement dans son rapport annuel d’activité 2009 (Voir document joint). En outre, le montant moyen d’une transaction frauduleuse est en légère hausse, à 136 euros en 2009 contre 131 euros en 2008. Autre tendance : le taux de fraude sur les paiements de proximité et sur automate continue de diminuer et s’établit à 0,014 % du total des transactions, pour un montant de fraude de 41 millions d’euros. Au contraire, le taux de fraude sur les paiements à distance est de nouveau en hausse en 2009 et s’établit à 0,263 % pour un montant de fraude de 82,2 millions d’euros. « Le niveau très élevé de la fraude sur internet conduit l’Observatoire à encourager la mise en œuvre de mesures permettant de lutter contre cette tendance », conclut notamment ce rapport.

Du côté des banques, la réflexion sur les nouvelles formes de fraude est déjà engagée depuis plusieurs années. « Aujourd’hui, des services existent pour éviter de donner son numéro de carte lors d’une transaction par internet. Le service « e-carte bleue » permet par exemple de télécharger un petit logiciel sur son bureau d’ordinateur et, quand vous voulez faire une transaction, celui-ci vous crée une e-carte valable un fois et pour un montant choisi, composée de numéros du recto et du crytogramme de trois chiffres à l’arrière de la carte », explique Marc*, conseiller financier à la Banque Postale. Et de continuer : « Une fois que vous voulez payer votre panier, il suffit d’aller sur le site et de donner le numéro de la carte virtuelle et n’est débité que le montant réel de la transaction. Si le site ou une personne moins sympathique essayait de récupérer vos coordonnées bancaires, ils ne pourraient pas car ce numéro est à usage unique. Une fois que votre commande est validée, il ne peut plus fonctionner ».

Si les innovations technologiques ne cessent de s’adapter à l’évolution de la criminalité, quelques précautions de base sont toujours valables pour les particuliers en cas de vol « à l’ancienne »… « La première des choses à faire est de porter plainte en gendarmerie ou au commissariat de police s’il s’agit d’un vol ou d’une agression. Il faut ensuite rapidement contacter sa banque pour mettre la carte en opposition : à partir de ce moment, nous effectuons un blocage informatique et elle ne fonctionne plus », explique Marc. Et en cas de retrait non désiré ? « Si vous voyez des opérations bizarres qui ne sont pas de votre fait, vous pouvez les contester et demander le remboursement. Nous consituons alors un dossier « fraude » et un service spécialisé prend ensuite en charge le dossier. Il étudie si l’achat est bien frauduleux ou si vous êtes en train de mentir, puis le remboursement peut s’effectuer ». Vérifier attentivement ses relevés de compte, ne pas se laisser distraire par des inconnus lors d’un retrait au distributeur… De son côté, l’Observatoire de la sécurité des cartes de paiement prodigue également des conseils de base au sujet de la protection de sa carte bleue dans son rapport annuel 2009 (Voir deuxième document joint)… Malgré la recrudescence des fraudes commises par internet, le « gang des femmes enceintes » de Dijon rappelle donc que les vieilles méthodes criminelles ont toujours autant la cote ; et que la prudence est toujours de mise dans le monde réel…

* Par souci d’anonymat, les identités des personnes interviewées ont été modifiées.

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