Depuis sa mise en service en 1981, paré de son orange des débuts, le train à grande vitesse (TGV) a transporté près de de 1,7 milliard de personnes et a été utilisé par 83% des Français. Pour ses trente ans, ce gaillard s’offre une tournée des grandes gares de France et fera une dernière halte à Dijon jeudi 14 juillet 2011. Avec l’ouverture dans 152 jours de la nouvelle ligne Rhin-Rhône, la capitale des Ducs se voit confortée dans son rôle d’étoile ferroviaire. Pourtant, elle a bien failli être « snobée » par la voie ferrée au XIXe siècle…
« Le TGV numéro 6.784 à destination de… »
Gare de Dijon, 06h53. La voix de Simone Hérault résonne dans le hall. Son nom ne vous dit sans doute rien mais depuis trente ans, elle est LA voix de la SNCF, qui a fait appel à ses services pour vous annoncer l’arrivée – ou le retard – des trains. Le dernier annoncé partira pour Paris gare de Lyon et le voyage durera approximativement 01h40… Si, depuis l’avènement de la grande vitesse, des migrations alternantes se sont mises en place entre les villes de Paris et Dijon, il faut remonter à mars 1832 pour voir présenté un premier projet d’une ligne reliant Paris à Lyon. À l’époque, le dossier est remis par Samuel Blum, directeur des mines d’Epinac, en Saône-et-Loire. En effet, sur accord de Louis-Philippe 1er, la ville est une des premières de France à bénéficier d’une liaison ferroviaire pour rallier Pont d’Ouche, en Côte-d’Or, afin de transporter le charbon jusqu’au canal de Bourgogne. A l’origine, le tracé proposé par Blum prévoit d’emprunter les vallées de l’Yonne, de l’Armançon, de l’Ouche puis de suivre le cours de la Saône pour joindre en une seule fois Le Havre et Marseille !
Alors que les idées se multiplient, mettant chacunes en péril la place de Dijon, la loi dite Baptiste Legrand est votée le 11 juin 1842, entérinant le principe d’une liaison Paris-Lyon-Méditerranée avec trois projets : Arnollet par la vallée de la Seine pour arriver à Chagny (71), Rémy Polonceau par l’Armançon jusqu’à Semur-en-Auxois (21), puis le canal de Bourgogne et Bruchet par la vallée de l’Yonne et du Serein. Après différentes études, le choix du passage par la vallée de l’Yonne est ratifié par la Chambre des députés, mais le flou plane sur une portion du trajet : celle entre Aisy (21) et Chalon-sur-Saône (71). En effet, le percement du Mont-Afrique, point culminant de la Côte-d’Or situé vers Corcelles-lès-Monts, suscite bien des interrogations sans qu’aucune réponse ne soit apportée. Une véritable bataille s’engage alors…
Darcy, le messie !
Seule grande ville entre Paris et Lyon, Dijon revendique un droit de passage de la ligne sur son territoire, craignant d’être contournée par le Sud. Henry Darcy, alors ingénieur dijonnais des ponts et chaussées, décide de se saisir du dossier et propose un nouveau tracé, optant pour le percement d’un tunnel au niveau de la commune de Blaisy-Bas (21). Ce dernier permettrait de raccorder la vallée de l’Yonne à la vallée de l’Ouche, de quoi satisfaire la Ville de Dijon, qui choisit de financer les sondages de la roche. Pour étayer ses arguments, l’ingénieur établit des tableaux comparatifs entre les différentes solutions d’ores et déjà proposées et met en évidence la supériorité de son choix : le tunnel ne serait « que » de 3.700 mètres – contre 4.300 mètres pour un passage sous le Mont-Afrique – et la distance entre Paris et Dijon passerait de 376 à 321 kilomètres. Mieux encore, Darcy chiffre les travaux se son plan à 10,5 millions de francs, contre 20,3 millions estimés pour le premier projet.
Une délégation dijonnaise se rend donc à la capitale pour défendre le projet devant la commission parlementaire. Conclusions en juin 1844 : la ligne Paris-Lyon passera par Dijon ! Le 07 juillet 1845, le tracé est confirmé alors même que les travaux ont déjà débuté depuis quelques mois… « Il a désenclavé la ville », souligne Gabriel Bachet, ancien cheminot et co-auteur de l’ouvrage Histoire du rail en Bourgogne, paru en 2007 aux Editions du Belvédère. « Heureusement, la Ville de Dijon s’est battue avec l’aide de personnes influentes pour que la ligne passe ! Pour le creusement du tunnel de Blaisy-Bas, des ouvriers italiens étaient même venus, ce qu’Henri Vincenot a repris dans sa Princesse du rail« . La commune compte alors 2.000 habitants pour appuyer les travaux de ce qui sera alors le plus grand tunnel d’Europe. Un hôpital est même ouvert.
Une ouverture progressive
Estimant le coût total du tracé à 300 millions de francs, la Compagnie du Paris-Lyon débute les travaux sur les tronçons Dijon-Chalon-sur-Saône (71) et Paris-Tonnerre (89), avant que l’État ne reprenne la main durant quelques mois. Malgré la Révolution de février 1848, la portion entre Melun (77) et Montereau (45) est mise en service le 03 janvier 1849 ; les sections Paris-Melun et Montereau-Tonnerre le 12 août de la même année. L’ouverture de la section Dijon-Chalon-sur-Saône (71) a lieu le 1er septembre 1849, la section Tonnerre-Dijon le 1er juin 1851 et la ligne totale est ouverte le 10 juillet 1854. Le premier record de vitesse a d’ailleurs été établi sur cette ligne, entre Gevrey-Chambertin (21) et Beaune (21) : le 20 février 1954, le cap des 243 km/h est franchi.
Quelques années plus tard, entre Mâcon et Montchanin (71), le TGV roule à 260 km/h et le président de l’époque, François Mitterrand se fera expliquer les mécanismes de conduite. Ce sera le premier voyage de ce qui deviendra un symbole du pays. « À l’origine, le TGV devait être un engin à turbines, commente Gabriel Bachet. Il a bien roulé mais avec le choc pétrolier, on s’est rendu compte que c’était un gouffre à gasoil. Une grande partie de la technique a été utilisée pour faire le TGV ». Ce prototype trône désormais le long de l’autoroute à Belfort (90). « À l’époque, le choix du tracé fut assez rapide car personne ne voulait faire spécialement de branche pour Dijon. Les élus ont arraché une jonction avec la voie existante au niveau d’Aisy (21) pour joindre Dijon ».
5,5 millions de passagers en 2009
Grand collectionneur, Gabriel Bachet a gardé avec lui l’ensemble des goodies – cadeaux publicitaires – qui ont accompagné l’arrivée du TGV en 1981 : jeux de cartes, stylos, porte-clés, maquettes, foulards, t-shirts, coupe-ongles, serre-têtes,… « C’était impensable ! J’ai déjà conduit un TGV mais je n’ai jamais été formé », regrette-t-il. « En effet, à partir de 1978, il fallait roder les premières rames et tous les jours, un TGV faisait le trajet Paris- Dijon-Belfort-Strasbourg-Paris pour fonctionner avec les deux courants – l’électrification était alors différente selon les portions – et, à force d’accompagner presque tous les jours les conducteurs, j’ai pu essayer. Ça avait de la pêche aussi bien en accélération qu’en freinage ! ». La date exacte de l’arrivée du TGV en gare de Dijon reste quant à elle encore un peu floue : « Ils se sont servis des rames de pré-séries pour faire du Paris-Lyon en 160 km/h par l’ancienne ligne ; nous étions donc dans les années 1979-1980… ».
L’objectif était alors de rassurer la population, qui devait prendre l’habitude par exemple de faire des réservations. « Quand on circulait les premiers temps, il faut voir le nombre de personnes qu’il y avait sur les ponts ! Peu de temps avant, nous avions présenté les motrices à Dijon, Le Creusot, Besançon, Montbard et à chaque fois, les gares étaient pleines ! » Aujourd’hui, la gare de Dijon ne désemplit guère. Pourtant, elle a également subi quelques métamorphoses, quittant sa marquise typique du XIXe siècle pour une architecture plus contemporaine (Voir notre diaporama ici). Entièrement détruite au départ les Allemands en 1944, elle devait être transférée au niveau du port du canal mais finalement, ce projet n’a pas été retenu… Le 27 septembre 1981, les premiers voyageurs descendent sur le quai. Ils étaient 5,5 millions de voyageurs en 2009 à l’avoir foulé.
- infOs pratiques
Le TGV, expérience ouverte à tous !
Jeudi 14 juillet 2011, de 10h à 18h
Gare de Dijon.
Le TGV Expérience sera ouvert au public avec des animations sur le quai, notamment un spectacle de rue, des ateliers maquillage et dessin pour les enfants, des visites de la cabine de conduite du TGV, un stand pour revivre le record de vitesse… Et bien sûr, la visite du TGV Expérience, qui retrace toutes les étapes de cette fantastique histoire du transport à grande vitesse en France et en Europe ! La SNCF rappelle que « quatre des huit voitures du TGV Expérience sont spécialement aménagées pour un parcours riche en surprises et en sensations ».
