Pour la cinquième nuit consécutive, jeudi 24 mars 2011, les avions de combat occidentaux ont pilonné des objectifs en Libye. Emmenée par les États-Unis, la France et la Grande-Bretagne, la coalition internationale agit au nom du conseil de sécurité des Nations unies, qui a voté une résolution autorisant le recours à la force contre les troupes de Mouhammar Khadafi, dans la nuit du 17 au 18 mars. Ainsi, en quelques jours, la France s’est embarquée dans une intervention dont personne ne peut prédire la durée ni l’issue, et encore moins les conséquences. Personne ne leur a demandé leur avis ; mais que pensent les Français de cette responsabilité ? dijOnscOpe a sillonné les rues de la ville pour le savoir…
- Jean-Daniel, 52 ans, fonctionnaire aux finances publiques.
« Je suis contre l’intervention car il s’agit d’une guerre civile en Libye, qui est donc interne à ce pays. Les États alentours ne sont pas menacés donc nous ne sommes pas dans un contexte de déclaration de guerre opposant deux pays. Pour l’instant, nous sommes dans l’ingérence des affaires libyennes. Suite aux événements en Tunisie et en Égypte, nous avons avons cru bon de venir s’en mêler pour destituer le dirigeant en place mais dans l’immédiat, les intérêts internationaux n’étaient pas menacés. Jusqu’à aujourd’hui, il n’existe pas de génocide avéré, il n’y a pas de menace nucléaire… Donc l’intervention internationale est sujette à caution. Nous sommes bien d’accord que le pouvoir en place n’est pas un modèle de démocratie mais nous n’intervenons pas partout où la démocratie est menacée. Pourquoi ne pas l’avoir fait avant en Tunisie ou encore en Égypte ? Pourquoi en Libye ? Selon moi, c’est un effet d’opportunité internationale et française surtout. »
- Amélie, 25 ans, « entre deux CDD ».
« Je suis pour l’intervention parce que l’on connaît depuis longtemps les actions de Khadafi – contre lequel je suis remontée depuis des années – et de son clan sur son propre peuple. Or le peuple a eu le courage de se soulever mais il ne peut plus se défendre tout seul. Je pense que l’intervention était nécessaire. Par contre, j’aurais aimé qu’en France, on demande l’avis des députés et des sénateurs avant d’intervenir. »
- Nadia, 23 ans, assistante sociale, et Rachid, 24 ans, éducateur sportif.
Nadia : « Moi, je suis contre l’intervention.
Rachid : Moi, je suis pour.
Nadia : Mais pourquoi t’es pour ? Le peuple libyen, il peut intervenir tout seul, regarde en Tunisie. Je crois que ça concerne uniquement le peuple et que c’est à lui de se révolter et de revendiquer ce qu’il veut. Il n’y a pas eu d’intervention en Tunisie donc je ne vois pas pourquoi il y en aurait en Libye. En plus, même si ça n’est pas le cas de la Libye, quand la France intervient et que c’est une ancienne colonie, on se pose des questions. Donc non, je suis contre. Je comprends qu’il y ait une majorité de pour, parce qu’il est clair que Khadafi est un dictateur mais quand même, c’est au peuple de revendiquer ce qu’il veut.
Rachid : Et si le peuple n’y arrive pas ? En Tunisie, ils ont réussi mais en Libye, je sais pas si tu es au courant mais il y a un massacre là-bas. Ils sont dans une impasse. Je pense que la communauté internationale a laissé assez de temps au peuple pour voir comment ça se déroule et qu’il est temps d’agir. Les pro-Khadafi gagnaient du terrain jusqu’à ce que la coalition intervienne.
Nadia : Bon, je veux bien que l’on intervienne mais pas en débarquant de cette manière, avec des armes. Ça ne me plaît pas. De quel droit ils peuvent intervenir dans un pays et tirer sur de soi-disant pro-Khadafi ?
Rachid : Tu proposes donc de laisser les Libyens dans la merde !
Nadia : La révolution en France, tu crois que ça s’est passé comment : des gens se sont battus et il y a eu des morts certes mais c’est pour une bonne cause.
Rachid : Donc on s’en fout des morts ?
Nadia : Non mais je ne suis quand même pas d’accord.
Rachid : Et bien moi je suis d’accord… avec moi ! »
- Jean-Pierre, 73 ans, retraité de la police nationale.
« Il fallait que cela se fasse un jour donc je suis pour cette intervention bien entendu, faut pas exagérer ! On entraînait leurs pilotes ici à Longvic, mais il y a longtemps. Ces pilotes doivent être en retraite maintenant mais ils ont dû en former d’autres. C’est comme pour les Irakiens : on les arme et après on leur fait la guerre… »
- Agnès, 57 ans, cadre de santé retraitée.
« Je suis contre toutes les guerres en général. Selon moi, il existe toujours d’autres moyens de négocier la liberté des peuples, plutôt que d’attendre qu’ils s’entre-tuent et après seulement, intervenir. Il y a belle lurette que les Libyens sont exploités et nous avons contribué à leur exploitation. Pour commencer, il aurait fallu éviter d’armer un fou comme Khadafi il y a de cela plusieurs décennies et éviter de le recevoir en lui déroulant le tapis rouge comme c’était le cas à l’Élysée il n’y a pas si longtemps encore ».
- Christian, 44 ans, directeur adjoint d’une école.
« Je suis contre cette intervention pour plusieurs raisons : d’abord parce que la situation est sans doute plus complexe qu’il n’y paraît. De plus, lorsqu’il y a une intervention, il y a forcément des dégâts humains, des morts civils et en même temps, une prise de position et une ingérence qui ne permet pas au pays d’avoir les solutions après guerre. Une telle intervention pourrait entraîner, après quarante-deux ans d’un régime très autoritaire, d’autres prises de positions que nous ne maîtrisons pas à l’heure actuelle ».
- Aurélie, 37 ans, assistante de direction.
« Il y a une semaine encore, je ne savais pas trop quoi penser de tout ça. Ingérence, pas ingérence ? Un reportage télé m’a finalement décidée : on y voyait deux femmes dans la rue, pleurant un mort et qui interpellaient la caméra : « Qu’est-ce que vous attendez ? Qu’ils nous tuent tous ? ». J’avais l’impression qu’elles s’adressaient directement à moi… Alors tant pis pour l’ingérence car si demain je me retrouvais à la place de ces deux femmes, que je voyais mon peuple se faire tuer par un fou furieux dont personne ne veut plus depuis bien longtemps, je maudirais la communauté internationale de ne pas intervenir ».